
Recevoir la douleur dans chaque lettre, dans chaque mot, de cette phrase absurde et sacrée : je t’aime. Recevoir la douleur dans je n’ai que toi. Recevoir encore la douleur dans tu es la meilleure de toutes. Toujours cette même morsure, dans les plis sucrés de ces mots empoisonnés.
Ces mots n’étaient qu’à nous. Ils n’avaient pas vocation à être entendus du monde. Ils n’avaient pas à s’égarer hors des murs, hors de la pièce où ils naissaient, dans l’écho seul que le silence voulait bien leur offrir. Ils mouraient dès qu’ils osaient frôler son âme. Sa chair sépulcrale. Son âme morte. Son esprit fermé. Son corps, tombeau sans nom. Ces mots n’avaient aucune existence hors de lui. Ils disaient tout, et rien du tout.
Je ne les aimais pas, ces phrases. Non. Parce qu’elles étaient impossibles. Parce qu’elles ne pouvaient pas être vraies. Parce qu’elles n’avaient droit de cité que dans l’ombre, à l’abri, entre quatre murs. Jamais dans un resto bondé. Jamais à table, face au monde. Toujours dans ce cachot qui donnait vie à notre robinsonnade.
Il n’était pas question de rire ensemble, en public. Pas question de dire que nous existions. J’étais pourtant, à ses yeux, la plus sensuelle, la plus brillante, la plus douce, la plus instruite, la moins fatigante. Du moins, c’est ce qu’il me répétait. J’étais l’idéal. L’évidence. Et pourtant, il était impensable de me montrer. Impensable de me dire. Je ne comprenais pas.
J’ai eu beau essayer, je ne comprenais pas. Comment pouvait-on trouver la femme idéale et ne pas la brandir comme une victoire ? Pourquoi me cacher, moi, quand il n’avait aucune pudeur à exhiber ses enfants, ses voitures, ses amis, ses réussites ?
Je ne comprenais pas. Parce que quand on aime, on dit. On dit l’autre tout le temps, à tout le monde. On le glisse dans chaque phrase, chaque geste, chaque souffle.
Pourquoi m’aimait-il et ne le disait pas ? Pourquoi ne soufflait-il pas à ses amis, sur le ton tendre de la confidence : Jane est incroyable, elle m’a encore appris un mot ? Pourquoi ne riait-il pas de mes anecdotes, ne leur disait-il pas que j’étais tombée du ciel ? Pourquoi ne leur parlait-il pas de ce jour où je lui ai appris les mots arrimage, circonspection, emberlificoté ?
Pourquoi ne leur disait-il pas que je relisais ses lettres comme on relit un poème, et que je refusais qu’il en change un seul mot, tant je les trouvais beaux et justes ?
Pourquoi étais-je à la fois si vivante et si éteinte lorsqu’il n’était plus là ? Pourquoi disait-il bonne nuit si vite, comme on claque une porte ? Pourquoi soupirait-il quand nos conversations dépassaient une heure, comme s’il avait mieux à faire ? Pourquoi mes récits du quotidien, pourtant pleins de lui, de nous, semblaient l’ennuyer. Pourquoi fuyait-il les questions qui auraient pu nous rapprocher ? Pourquuoiiiiiiiiiiiiii !!!!???
Pourquoi ne me rappelait-il pas plus tôt, quand enfin il avait un instant de libre ? Pourquoi me laissait-il avec cette impression d’avoir été punie ? Pourquoi ne m’aimait-il pas vraiment ? Pourquoi me mentait-il ? Étais-je si indigne qu’il me refuse même la vérité ?
c’est par ces mots que je vous souhaite la bienvenue dans l’odyssée insipide de mes lettres et de mes cris.
A bientôt!